Le 4 mai 1970, un article intitulé « Closure of Banks » (« Fermeture des banques », paru dans le journal Irish Independent en République d’Irlande) indique : « À la suite d’une grève de l’Association des représentants des banques irlandaises … c’est avec regret que ces banques se voient contraintes d’annoncer la fermeture de toutes leurs agences en République d’Irlande … à compter du 1er mai, et ce, jusqu’à nouvel ordre. »
Les banques irlandaises ne rouvrirent pas avant le 18 novembre, six mois et demi plus tard. L’Irlande sombra-t-elle pour autant dans la crise ? À la surprise générale, les Irlandais poursuivirent leurs achats ou leurs ventes de biens et de services, et, loin de s’effondrer, l’économie irlandaise continua à croître au même rythme qu’auparavant. Par quel miracle ?
Une explication qui tient en trois mots a été avancée : les pubs irlandais. Rappelons qu’un pub est un établissement où l’on sert des boissons alcoolisées en Grande-Bretagne et en Irlande. L’économiste Andrew Graham se rendit en Irlande pendant la grève et fut fasciné par ce qu’il y observa. Puisque tout villageois se rendant au pub de proximité était connu, le propriétaire de chaque établissement décida d’accepter les paiements sous la forme de chèques qui ne seraient pas encaissés par une banque avant un certain temps. On s’échangea bientôt ces chèques les uns les autres, chacun devenant de fait un intermédiaire financier comme une banque.
La fermeture des banques irlandaises constitue un exemple frappant de la définition de la monnaie : il s’agit de tout ce qui est accepté comme moyen de paiement. À cette époque, les billets de banque et les pièces de monnaie constituaient environ un tiers de la monnaie circulant dans l’économie irlandaise, les deux tiers restant correspondant à des transactions effectuées par des chèques. Mais les paiements par chèque nécessitent l’existence d’institutions particulières, que l’on appelle les banques, qui s’assurent que les agents économiques n’émettent pas de chèques sans provision. Nous verrons plus loin dans le chapitre que les chèques ne sont pas de la monnaie, mais un instrument de circulation de la monnaie scripturale.
Lorsque vous émettez un chèque pour régler un achat auprès d’un vendeur au lieu de le payer « en liquide » avec des billets ou des pièces de monnaie, le chèque finit par être encaissé en fin de journée par la banque qui débite votre compte au profit de celui du vendeur. Le vendeur pourra bénéficier de cet argent dans sa banque, et le retirer sous forme de billets s’il désire lui aussi procéder à des échanges le lendemain. Mais si vous émettez un chèque pour acheter des biens et des services pour un montant de 100 euros, et que vous ne disposez sur votre compte en banque que de 50 euros, la banque rejettera le chèque et le vendeur saura instantanément qu’il devra récupérer son argent d’une autre manière. En conséquence, les agents économiques évitent généralement d’émettre des chèques sans provision.
De nos jours, l’usage des cartes bancaires est beaucoup plus répandu pour procéder aux échanges. Mais le principe est le même. Lorsque vous retirez de l’argent sous forme de billets dans un distributeur, ou payez un vendeur avec votre carte, la banque vérifie instantanément que vous disposez des fonds nécessaires sur votre compte.
Que se passe-t-il alors quand les banques ferment leurs portes et que tout le monde sait que les chèques ne seront pas rejetés, même si l’émetteur du chèque n’a pas d’argent ? Vos chèques seront-ils acceptés ? Pourquoi ne pas simplement remplir un chèque pour acheter une voiture même s’il n’y a pas assez d’argent disponible sur votre compte ? Si vous commenciez à raisonner ainsi, alors vous ne feriez plus confiance à quelqu’un vous proposant un chèque en échange de biens ou de services, ou vous payant en carte bancaire. Comme vous, tous les agents économiques perdraient confiance lors des transactions effectuées par chèque ou carte bancaire : le nombre d’échanges baisserait et l’économie en souffrirait.
Comment l’Irlande a-t-elle pu échapper à ce sort ? Comme nous l’avons vu, cela s’est déroulé dans les pubs. Les chèques étaient acceptés comme moyens de paiement, du fait de la confiance suscitée par les propriétaires de pubs. Ces derniers passaient des heures à discuter avec leurs clients et à les écouter. Ils étaient prêts à accepter des chèques comme moyen de paiement de la part de ceux qu’ils jugeaient dignes de confiance. Au cours des six mois durant lesquels les banques furent fermées, des chèques correspondant à environ 5 milliards de livres furent émis par des personnes et des entreprises, sans être encaissés par les banques. Le fait que l’Irlande comptait à l’époque un pub pour 190 adultes a grandement facilité les choses. Avec l’aide des propriétaires des pubs et des commerçants qui connaissaient leurs clients, les chèques pouvaient circuler entre les différents agents économiques comme moyens de paiement et permettre ainsi de poursuivre les échanges. Alors que l’argent sur leur compte bancaire était inaccessible, les citoyens irlandais créèrent la quantité de nouvelle monnaie nécessaire au dynamisme de l’économie pendant toute la période de fermeture des banques.
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